Emission radio « On va déguster », Le goût, 31 mai 2020, France Inter

PREMIERE HEURE:  Le goût expliqué par la science

Emission radio « On va déguster » Le goût

Coup de coeur solidaire d’Elvira Masson

Zone Sensible, dernière ferme maraîchère à Saint Denis (93) distribue gatruitement l’ensemble de sa production de légumes aux habitants de la ville et cherche le moyen de perenniser le dispositif. 

Gabriel Lépousez

Gabriel Lepousez est neurobiologiste, spécialiste de la perception sensorielle et de la plasticité du cerveau. Il a étudié la biologie moléculaire à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon, est professeur agrégé de Biologie, a obtenu un doctorat de Neuroscience de l’Université Pierre et Marie Curie à Paris, et est actuellement chargé de recherche à l’Institut Pasteur, dans le laboratoire Perception et Mémoire .

Spécialiste de la perception olfactive, Gabriel Lepousez s’appuie sur le système olfactif pour comprendre plus largement comment notre cerveau sensoriel perçoit, analyse et mémorise les informations de notre environnement et comment ces processus dysfonctionnent dans certaines maladies neurologiques. Gabriel s’intéresse aussi aux surprenantes capacités de régénération du cerveau adulte et plus récemment à l’impact du microbiote intestinal et du système immunitaire sur le fonctionnement du cerveau.

A 36 ans, il est l’auteur de plus d’une vingtaine de publications scientifiques dans des revues internationales prestigieuses, il enseigne à l’Institut Pasteur, à l’Université de Strasbourg et à l’Université de Montpellier. Il intervient régulièrement en France et à l’étranger auprès des professionnels du vin et de la gastronomie pour expliquer les clés du fonctionnement de notre cerveau à la lumière des dernières découvertes en Neurosciences. Dans cette perspective, il a co-fondé l’Ecole du Nez  , une formation neuro-sensorielle dédiée aux professionnels de la dégustation pour comprendre comment naît et se construit la représentation mentale du goût dans notre cerveau.

Références de vins proposées par Gabriel Lépousez:

Domaine Luneau-Papin, L d’Or 2018 (Muscadet Sevre & Maine) prix : 14,50€ (  contact@domaineluneaupapin.com)

Domaines Dominique Piron, Quartz 2016 (Chenas) prix : 16€ ( piron@domaines-piron.fr)

Chronique vin de Dominique Hutin

  • « Le mauvais goût, c’est celui des autres »

Par cette phrase tirée de « La mort du vin », réjouissant bouquin de Raymond Dumay qui porte très mal son nom (le livre, pas Raymond), l’auteur laisse entendre toute la relativité -et donc la subjectivité- des ressentis hédonistes.

Existe-t-il un goût universel ? Cela supposerait que, tout comme les Montaigu et Capulet de « Roméo et Juliette », le supporter de l’OM et celui du PSG soient animés par le même métabolisme. Ce serait aussi gommer les signes hérités, l’atavisme de goût qui fait que, face à des vins à 14 volts, l’amateur né au cœur des vignobles du sud pensera « générosité » quand celui qu’on aura élevé à l’ombre du château de Chinon, appelons-le Rabelais, suera à grosses gouttes et rêvera d’inverser le curseur et le poser sur « fraîcheur », à grands renforts de Bourgueil.

Ainsi, plutôt que fixer son goût personnel en une photo qui sera très tôt jaunie, sinon périmée, l’amateur ouvert se rappellera qu’en matière de goût, rien n’est figé. D’autant que le cerveau est à la manœuvre et que cet organe est autant apprenant que changeant, au fil des circonstances de l’instant : on peut imaginer que le dégustateur qui le matin aura gagné au loto ou se sera cassé une jambe sera peut-être, l’après-midi, dans des dispositions d’esprit légèrement différentes. C’est ce même filtre de l’instant qui pourrait être la source de miracles peu souvent envisagés sur la planète jaja : pour peu que le mercure vienne à titiller les 40° à l’ombre et un rosé dilué par deux glaçons pourrait se voir propulsé « meilleur vin du monde ».

Ce billet se voulant scientifique, faisons une expérience, seul moteur fiable -et nécessairement reproductible !- du savoir. Une expérience à laquelle même l’atavisme œnologique pourrait ne pas résister : transplantons un bourguignon à Bordeaux, arrosons-le suffisamment longtemps de doses soutenues de merlot et de cabernet pour qu’il y prenne racine. Il se pourrait qu’il trouve au fil de sa girondisation plus de charme aux arômes de cèdre d’un Pauillac qu’à la rose fanée d’un vieuxVolnay.

Lecture de Vincent Josse

Extrait de « Aventures d’un gourmand vagabond » de Jim Harrison

« Ce n’est pas parce que vous avez le ventre plein que vous perdez aussitôt tout intérêt pour la boustifaille. Les gourmands ou les rois de la fourchette ont peut-être déjà des dents avant la naissance, à moins qu’ils n’avancent dans le monde à grands coups de gencives, et pour eux encore est le seul synonyme approximatif de assez. Bref, je regardais un café très banal quand j’y ai avisé Francis Ford Coppola en train de pianoter sur un abominable ordinateur portable. Il a levé les yeux, m’a adressé un grand geste et dit : « Je connais l’endroit idéal où nous allons manger », plutôt que : « Salut, comment vas-tu, l’art est une chose merveilleuse, n’est-ce pas ? »

Le lendemain soir nous étions toute une bande chez L’ami Louis, dont Danny DeVito et Russell Crowe. Francis en grand amateur épanoui de la cuisine française a pris les choses en main. J’ai approuvé car je suis moi-même un mangeur impénitent ainsi qu’un nutritionniste amateur qui distribue ses avis en fumant et en descendant plusieurs bouteilles de sublime vin rouge salvateur. Je m’étais laissé dire que L’Ami Louis accueillait une majorité d’Américains et que ce restaurant n’était plus ce qu’il avait jadis été. Mais c’est valable pour tout. Plus rien n’est aujourd’hui ce qu’il était jadis. Pour notre tablée de huit convives, Francis a commandé des escargots à volonté, un plateau de foie gras, un gigot d’agneau et « quelques poulets » parmi d’autres victuailles. La clientèle du restaurant était exclusivement française. Et ce repas a duré une éternité. Jack Nicholson m’a dit un jour : « Ce n’est que dans le Middle West que bouffer comme un chancre est toujours considéré comme un acte d’héroïsme. » Dans ce cas, Coppola a droit au titre de citoyen honoraire du coeur du pays, tout comme Orson Welles qui en un certain nombre d’occasions m’a donné l’impression que j’étais une timide Mary Poppins. »