Témoignage de l’exposition « Voyage dans les sens », Paris, mai 2015

L’art contemporain investit désormais tous les champs de la perception et mobilise tous les sens : au delà de la vision, au delà de l’ouïe, ce sont également le touché et l’odorat que les œuvres entendent solliciter sous différentes formes et concepts.

Telle fut la proposition de l’exposition, « Voyage dans les sens », à la Maison du Japon de la cité universitaire internationale à Paris qui invitait les visiteurs à expérimenter les œuvres non seulement en tant qu’objets de contemplation esthétique et intellectuelle, mais aussi et surtout en tant que productions sensorielles d’ordre tactiles et olfactives. C’était d’abord les yeux qui amorçaient la perception des œuvres mais la sollicitation des autres sens vous permettait de les ‘voir’ véritablement.
Cette exposition polysensorielle nous permettait de découvrir le travail sensible de la céramiste, Akiko Hoshina, celui plus conceptuel de l’artiste ‘sonore’ Atsunobu Kohira et deux artistes développant une recherche autour de notre univers olfactif : Maki Ueda et Boris Raux

Petite visite guidée:

A peine franchi le seuil dans la Maison du Japon, nous découvrons à un face-à-face admirablement réussi entre une œuvre de Foujita, les chevaux, 1929, 325cm x 462cm, huile et feuille d’or sur toile appartenant à la collection de la maison et d’Akiko Hoshina, Goron goron goron, 2008, Dimensions variables, Gré.

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Akiko Hoshina Goron goron goron, 2008 Dimensions variables – Gré

Comme des champignons, rochers ou souches dans une forêt, les objets en gré cuit de l’artiste céramiste Akiko Hoshina sont littéralement « offertes » au spectateur, libre de les toucher, de les caresser ou de s’y assoir. Les empreintes de doigts que l’artiste a volontairement laissé nous invitent à expérimenter tactilement le tracé du processus de sa création.

Nous rentrons ensuite dans la grande salle et directement nous sommes saisis par une odeur très hygiénique, poivré et assez masculine, c’est l’œuvre de Boris Raux, a boat in the morning, 2015, dimension variable – Bois, bulles, gel douche ‘rituel d’Asie’, eau

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Boris Raux a boat on the morning, 2013 Dimension variable – Bois, bulles, gel douche, eau

Autour d’une structure en bois en forme d’un bateau, sont répandus des milliers de bulles gonflées avec du gel douche Ushuaia « rituel d’Asie », choisi spécialement pour l’exposition à la Maison du Japon. L’évaporation progressive du liquide présent dans les bulles répand peu à peu dans la pièce les parfums poivrés d’un réveil difficile dans un environnement peu familier.

L’ensemble des œuvres présentées par Boris Raux, on été adapté au contexte spécifique de la Maison du Japon. Ici, les étudiants japonais se retrouvent confronté à un choc culturel. Ils baignent au quotidien dans culture olfactive française fortement éloignée de la leur. Jours après jours, ils se retrouvent à devoir utiliser des produits corporels qui ont été ‘dessinés/décidés’ pour d’autres et selon d’autres référents. C’est dans ce banal que l’exotisme le plus complet se fait sentir. Ces produits, véritables ‘sur-moi’, affectent, par contacts répétés, leurs propres identités dans une dimension qui dépasse la simple intimité corporelle.

Pour mieux en apprécier les codes et artifices, Boris Raux, présente ainsi La collection, 2009 -460 x 150 x 13cm – Gel douche et shampooings en vente sur le marché français, 130 bouteilles de verre et étagère en chêne
Comme dans un laboratoire de recherche, Boris Raux présente toute une collection de gel douche et de shampooing qu’il a « chiné » sur les étales des supermarchés français. Placée verticalement, elle nous fait face, mystérieuse, comme surgie d’un exotisme irréel, imposante par son nombre et sa diversité. D’un coté, c’est la couleur abstraite qui domine, de l’autre, il est possible de lire les noms de produit. Boris Raux, nous met face à ces typologies issues d’un fastidieux travail marketing qui nous choquent par leur arbitraire et leur artifice mais qui pourtant nous enveloppent, chaque jours, réellement et nous identifient quotidiennement.

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Boris Raux La collection, 2009 Gel douche et shampooings en vente sur le marché français, bouteilles de verre et étagère en chêne 460 x 150 x 13cm

La dimension olfactive ne se trouvent pas en reste avec une autre œuvre de l’artiste japonaise Maki Ueda.

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Maki Ueda Perfect Japanese Woman, 2008 Quatre parfums

1, Nukamiso : Pâte de son de riz fermenté dans laquelle on macère des légumes pour faire des condiments qui se mange comme accompagnement de riz nature. Si on ne le mélange pas tous les jours, nukamiso peut vite pourrir.
2, Tatami : Natte en paille de riz recouverte de jonc tressé et souvent à couvrir le sol des maisons dans l’habitat traditionnel japonais.
3, Miso soup : soupe de miso que les Japonais boivent quasiment à chaque repas.
4, Savon : odeur d’image de la pureté et de la propreté. Les hommes japonais ont tendance à apprécier plus les femmes qui sentent le savon que le parfum.

Maki Ueda développe un travail artistique d’expérimentation des odeurs, de leurs représentations et de leurs significations sociales et humaines.
Dans l’oeuvre Perfect Japanese Woman, elle a extrait 4 odeurs qui symbolisent « la bonne épouse, la mère sage », représentation traditionnelle commune au Japon mais qui évoque plutôt aujourd’hui l’image rétrograde de la femme prisonnière du foyer aux antipodes du mouvement d’émancipation des femmes.

A coté, nous pouvons apprécié la poésie de l’œuvre d’Atsunobu Kohira :

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Atsunobu Kohira Sound in the glass, 2014 250 x 50 x 80 cm – Trompette, verre, métal

Comment donner à voir ce que l’on capture par l’ouïe ? Atsunobu Kohira répond à cette interrogation par un procédé technique à la fois poétique et rêveur : la technique verre soufflé…à travers une trompette, d’où il résulte 7 bulles en verre qui correspondent aux 7 sons d’une gamme diatonique.

C’est œuvre n’est pas sans nous rappeler, Air de Paris, de Marcel Duchamp qui est souvent reconnue historiquement comme une des premières œuvres où un artiste contemporain s’est penchée sur l’importance des odeurs dans notre vie.

Enfin, pour en finir avec cet espace, quoi de mieux qu’un coup de sabre japonais ?

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Akiko Hoshina Raideur malléable, 2015 84 x 250 x 120 cm – Argile, sabre de kendo, table

Akiko Hoshina poursuit depuis quelques années une œuvre particulière d’investissement des lieux d’exposition en recouvrant d’argile des objets qui se trouvent sur place. Travail d’imprégnation des lieux et des objets par l’argile, matière souple et précaire, simple à manipuler. Ici, elle a choisit une table et un sabre de kendo probablement égarés par un ancien résident de la maison du Japon, objets d’une transformation poétique qui leur confère une « nouvelle peau » fragile et périssable.

Passons désormais à la bibliothèque où en tension avec l’odeur des magnifiques boiseries mêlée à celle des livres anciens, Boris Raux, nous transportent dans un univers visuel et olfactif onirique et exotique avec ses épithéliums.

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Boris Raux Epithéliums, 2015, dimensions variables – Gels douche, shampooings et verres

Véritables sculptures, à percevoir de façon à la fois visuelle, formelle et olfactive, Boris Raux vous invite ainsi à apprécier des compositions uniques de couleur, de texture et d’odeurs en enlevant alternativement les cloches en verre. Ces oeuvres sont très simplement produites. Ils remplit des récipients en verre de gels douche et de shampooings directement issus de La collection présentée dans la salle d’à coté. C’est pour lui, un chemin tout tracé vers une reprise de pouvoir créative et poétique des matières produites en masse. Entre tentation gourmande et explosion florale, il est intriguant de se laisser prendre au voyage en la piste olfactive de l’épithélium n°45 et ses couches de Guarana, Pin et ciste marin, Blue challenge et Bleut neutre.

Enfin, discrètement installé au milieu des livres, comme faisant partie des meubles, jérôme se tiens là.

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Boris Raux Jérôme, 2009 40 x 75 cm Tirage numérique sur dibond

Cette œuvre fait partie de la série des « portraits olfactifs » que Boris Raux continue à réaliser au fil des rencontres et des commandes depuis 2009. Elle présente simplement TOUS les produits se trouvant dans la salle de bain qui façonnent les odeurs corporelles de la personne représentée. Ils sont placés de profil, bien ordonnés et de manière rigoureuse, mais aussi tellement intime et touchante, tant ces produits nous sont familiers et constituent des « fondamentaux » nos vies quotidiennes. Avec ces portraits, Boris Raux, se rapproche de nous, de notre singularité mais pourtant nous en ressentons un grand absent : le corps sur lequel ces produits s’étalent. Nous sommes ici pris par une forme de beauté tragique à la nature morte de notre vanité.

                                                                                                                                                                  

Voyage dans les sens

Reportage :
Exposition avec Akiko Hoshina – Atsunobu Kohira – Boris Raux – Maki Ueda
Conçue par Kana Sunayama et Takeshi Sugiura

Lieu : Maison du Japon à la Cité Internationale Universitaire de Paris
Dates : du 14 au 25 mai 2015, lun-ven 14h-17h, sam et dim 11h-19h
Entrée libre

Avec le soutien de la Fondation Franco-Japonaise Sasakawa